Quand les hommes ne croient plus en Dieu, ils ne se mettent pas à ne croire en rien, ils se mettent à croire à n'importe quoi ! [apocryphe]
Quand les hommes ne croient plus en Dieu, ils ne se mettent pas à ne croire en rien, ils se mettent à croire à n'importe quoi ! [apocryphe]
Quand les hommes ne croient plus en Dieu, ils ne se mettent pas à ne croire en rien, ils se mettent à croire à n'importe quoi ! [apocryphe]
Quand les hommes ne croient plus en Dieu, ils ne se mettent pas à ne croire en rien, ils se mettent à croire à n'importe quoi ! [apocryphe]
Quand les hommes ne croient plus en Dieu, ils ne se mettent pas à ne croire en rien, ils se mettent à croire à n'importe quoi ! [apocryphe]
L’être humain est épris d'infini, c'est pathologique s'il s'agit de matériel
TARIFS et informations pratiques...
CONTES SOUFIS
Chaque religion à sa branche spirituelle qui s'intéresse à percer les mystères du monde, de la Vie, de Dieu et de l'Homme. Dans le christianisme , c'est le mysticisme chrétien, chez les juifs, l' hassidisme, chez les musulmans, le soufisme...
Les contes soufis sont des contes emprunts de la poésie et de la beauté de la langue et de la culture arabe. Souvent drôles, ils sont aussi profonds et étaient et sont utilisés comme point de départ d'une réflexion spirituelle... nous vous proposons ici 4 contes...
YUNUS EMRE
"Des voies insoupçonnées de l'évolution spirituelle" (ndr)
Yunus Emré inventa autrefois des chants plus durables que le souvenir même de sa vie. Il fut aussi un infatigable chercheur de vérité.
Quand pour la première fois lui vint au cœur cette avidité de savoir qui le jeta sur les chemins du monde, il avait peut-être vingt ans, peut-être moins. Il s’en fut, espérant que le désir qui l’assoiffait le conduirait au-devant d’un maître capable de l’illuminer. Ce maître, il lui fut donné de le rencontrer, après dix années d’errance misérable, dans le grand vent d’une colline, en pleine steppe anatolienne. Il s'appelait Taptuk et il était aveugle.
Taptuk avait lui aussi longtemps cheminé, mais il avait suivi d’autres routes que celles de Yunus. Dès son adolescence, il s'était rasé le crâne et les sourcils, s’était coiffé d’un bonnet de feutre rouge et s'en était allé combattre les envahisseurs mongols. Il avait traversé autant de charniers que d’éphémères victoires, chevauché le sabre aux dents à la poursuite d’hommes aussi fous que lui, croupi le lendemain dans des lambeaux sanglants. Il avait haï, pillé, tué, cent fois perdu et cherché son âme dans la rage des combats, jusqu’à ce que le silence tombe enfin sur sa tête. Un soir de défaite, il avait été laissé pour mort sur un champ de bataille. Il s’était traîné au bord d’un ruisseau. Là, une femme, la première de son existence, hors quelques putains de tavernes, s’était en fin penchée sur lui. Elle l' avait recueilli, soigné, guéri, mais elle n’avait pu lui rendre la vue qu’un tranchant de lame lui avait prise. Alors elle lui avait donné sa vie, sa main pour le conduire, et de ce jour, guidé par son épouse, Taptuk n'avait plus songé qu’à se frayer en lui-même un chemin jusqu’à la source silencieuse d’où s’élève la lumière qui rend toutes choses simples. Un soir, dans ce désert de hautes herbes où ne se risquait jamais personne, sauf de rares bergers égarés et quelques lambeaux d’armées en déroute, il avait atteint cette source. Il avait donc décidé de ne pas aller plus loin et avait construit là sa maison. D'autres chercheurs l'avaient rejoint, de loin en loin, poussés par on ne sait quel vent de l’âme. Ils avaient reconnu en cet homme imposant et avare de paroles le maître qu’ils espéraient. Ils avaient donc bâti leur cabane près de la sienne, puis dressé une palissade autour de ces humbles masures.
Quand Yunus Emré parvint en ce lieu, le monastère de Taptuk l’aveugle n’était rien d'autre que cela : quelques bâtisses basses ceintes d'un mur de pierres sèches dans la steppe infinie, Taptuk, dès qu’il eut palpé le visage et les épaules de ce vagabond affamé de savoir, lui promit la Vérité.
- Elle te viendra peu à peu, lui dit-il. Pour l'instant, je n’ai rien à t'apprendre. Ton travail sera donc de balayer sept fois par jour la cour du monastère. Yunus obéit de bon cœur, A l’instant même où il s'était trouvé devant ce grand vieillard au crâne ras, une confiance inébranlable lui était venue. Il était sûr qu'elle ne l’abandonnerait plus. Sept fois par jour il balaya donc la cour avec entrain, saluant joyeusement le maître et ses disciples quand ils se rendaient ensemble à la maison de l’épouse où Taptuk I’aveugle tous les matins enseignait.
Il s'étonna bientôt que nul ne réponde à ses salutations.
« Passe encore que les apprentis m’ignorent, se dit-il, mais celui qui m’a si bonnement accueilli chez lui, pourquoi ne m’adresse-t-il jamais la parole ? » Une année passa ainsi, puis deux et trois années, sans que nul ne lui parle. Alors le cœur de Yunus s’alourdit. « Sans doute ce silence signifie-t-il quelque chose, se dit-il. Assurément mon maître veut apprendre quelque chose à mon âme, car c’est à l’âme que s’adresse la parole sans voix.» Il réfléchit dans sa solitude besogneuse, chassant sept fois par jour la poussière que le vent sans cesse ramenait dans la cour du monastère. Enfin, un matin de printemps, comme il sortait de sa cabane, son balai sur l’épaule, une lumière lui vint. «J’ai trouvé : Taptuk veut m’apprendre la patience», se dit-il. Il jubila dans son cœur, content de sa découverte, et se remit à balayer la cour avec une ardeur nouvelle.
Cinq années étaient passées. Deux autres s écoulèrent encore, puis trois, puis cinq nouvelles, sans que change son sort. Alors Yunus désespéra. « Qu’ai-je fait pour mériter une aussi longue indifférence ? Se dit-il. Peut-être mon maître m'a-t-il oublié. Ou peut-être ne suis-je pour lui qu'un idiot recueilli par pitié, tout juste bon à chasser la poussière.» Il s'efforça pourtant de réfléchir sans passion. Une nuit de tempête lui vint à l'esprit que Taptuk voulait peut-être lui apprendre l'humilité. Dans l’obscurité tourmentée où il était couché, il sourit. «C'est cela. Il veut m'apprendre l’humilité», se dit-il. Le lendemain matin, quand il se mit à l'ouvrage, ses gestes étaient plus mesurés, et parce que son cœur était en paix il se mit, tout en balayant la cour, à fredonner. Peu de chose : des paroles qui lui venaient, des chants qui lui montaient aux lèvres et qu'il laissait aller au vent, pour la seule satisfaction d'entendre voix humaine.
Cependant sa confiance en Taptuk peu à peu le quitta. Cet homme, décidément, l’avait trompé. Il n’avait jamais eu l'intention de lui apprendre ce qu'il avait pourtant promis. «Je perds ma vie à espérer», se dit-il. Cinq ans encore, il balaya la cour en fredonnant, sans que nul ne l'écoute. Un soir, fatigué de cette existence de pauvre hère et convaincu que personne ne s’apercevrait de son absence, il décida de quitter ce lieu où il n'avait trouvé, après quinze années d'humble patience, qu’amertume et mélancolie.
Il s’en fut donc dans la nuit, droit devant lui. Il marcha jusqu'à l'aube, ivre de liberté sans espoir. Il eut faim et soif, mais il n’y avait nulle source où s'abreuver, nul abri où refaire ses forces dans cet infini désert d'herbes jaunies, de cailloux et de vent. «Je vais mourir, se dit-il. Qu importe. Mieux vaut mourir en marchant qu'en balayant la cour d'un fou. »
Il marcha donc trois journées entières.
Au soir du troisième jour, comme il allait se coucher sur un roc pour offrir son corps exténué aux vautours, il aperçut, au loin, un campement. Il s’étonna. Aucun voyageur ne se risquait jamais dans ces contrées. Qui pouvaient être ces gens? Il s'approcha. Il vit des hommes assis au seuil d'une tente aux voilures amples. Ils festoyaient en riant et parlant fort. Dès qu'ils l'aperçurent, ils lui firent signe et, à grands cris joyeux, l'invitèrent à partager leurs provisions, Des fruits luisants, des galettes dorées, des rôtis odorants, des boissons de toutes couleurs dans des flacons de verre étaient à profusion étalés devant eux, sur un tapis de laine. Yunus prit place en leur compagnie, but, mangea, osa enfin demander à ces gens par quel miracle, dans ce méchant désert, ils se trouvaient ainsi pourvus en nourritures si délicates qu'il n'en avait jamais goûté de pareilles.
Une voix nous a conduits ici, lui dirent-ils. Assurément, c'est le meilleur endroit du monde. Le vent tous les jours nous apporte du lointain les chants d’un derviche inconnu. Il nous suffit de les écouter, de les chanter nous-mêmes. Aussitôt apparaissent devant nous tous ces mets succulents que vous voyez là. Nous serions fous d’aller vivre ailleurs. Yunus s’extasia, avoua qu’il ne comprenait rien à pareille magie et osa enfin demander à ses compagnons si, par extrême bonté, ils pourraient lui apprendre ces chants nourriciers, afin qu'il ne meure pas de faim dans cette steppe où il devait aller seul.
Volontiers, répondirent les hommes. Et ils se mirent à chanter. Alors Yunus, bouleversé, les yeux ronds et la bouche ouverte, entendit les chants qu'il avait lui-même fredonnés, cinq ans durant, en balayant la cour du monastère. Il reconnut les paroles sorties de ses lèvres dans le seul désir de tromper la solitude, les musiques montées de son cœur dans le seul espoir d'alléger sa mélancolie. Elles étaient son œuvre. Sur l'instant il comprit pour quel travail il était en ce monde, il goûta la pure vérité de son âme et il souffrit la pire honte, songeant à Taptuk qui l'avait instruit, sans qu’il n’en devine rien, comme un fils infiniment aimé.
Alors il embrassa les hommes qui l'avaient accueilli et revint au monastère en courant et pleurant. «Taptuk me par-donnera-t-il d'avoir douté de lui ? se disait-il, buvant le vent. Me pardonnera-t-il jamais ? »
Il parvint à la nuit tombée à la porte vermoulue qui fermait la palissade. Il cogna du poing, appelant et demandant pitié. Le visage de l’épouse de Taptuk apparut au-dessus du mur.
- Te voilà revenu, Yunus, dit-elle doucement. Pauvre enfant, je ne sais si Taptuk t'acceptera à nouveau parmi nous. Ton départ l'a désespéré. « Quel malheur, m'a-t-il dit, mon fils le plus cher m'a quitté. Que vaut ma vie désormais ? » Je vais t'ouvrir. Tu te coucheras dans la poussière de la cour. Demain, quand ton maître fera sa promenade du matin, il butera du pied contre ton corps. S’il dit : « Qui est cet homme ? », alors tu devras partir pour toujours. S’il dit : « Est-ce là notre bon Yunus ? », alors tu sauras que tu peux à nouveau vivre en sa présence. Entre, mon fils.
Yunus se coucha dans la poussière de la cour. Au jour revenu, il vit s’approcher Taptuk l'aveugle au bras de son épouse. Il ferma les yeux, sentit un pied contre son flanc, entendit :
- Est -ce là notre bon Yunus? Il se leva, ébloui de lumière et de bonheur, courut à son balai et se remit à balayer la cour.
Ainsi fit-il jusqu'à sa mort, sans faillir un seul jour. Quand il fut devenu semblable à la poussière mille fois envolée, ses chants s’élevèrent, envahirent les lieux où vivaient les hommes et les nourrirent avec tant de persévérante bonté qu'aujourd’hui encore neuf villages, en Anatolie, revendiquent le privilège d'avoir sur leur territoire la vraie tombe de Yunus Emré, l’homme que Taptuk l'aveugle illumina.
Je suis le marin aimé que les cieux
admirent ;
l’océan est ma goutte d’eau.
L’au-delà des horizons de la mer
m’appartient.
Parce que cette main ne connaît que le
Chemin
qui conduit vers l'Ami,
ma langue, ni maîtresse ni esclave,
dira la vérité.
Avant que l’homme ne vînt
et ne s’animât au souffle,
avant même que Satan ne fût déchu,
les cieux étaient mes promenoirs.
LE PAIN
Du travail intérieur (ndr)
Il était un jour un voleur au cœur de loup, brutal, rusé, intelligent, prompt à la course, bref un maître en truanderie qui souffrait d'un grave défaut, du moins pour les gens de sa sorte, il était sans cesse attiré plus loin que le prochain magot, le prochain marchand détroussé ou la prochaine caravane prise à ses pièges carnassiers. Il cherchait autre chose. Quoi ? Il ne savait dire. Un miracle, un trésor peut-être, un Graal, une lumière indiscutable, un impossible apaisement. Il en souffrait. Il ignorait d’où venait sa mélancolie, et donc il vivait avec elle comme avec ces amours pesants qui parfois embarrassent 1 âme. Un soir, en quête d’une proie, à pas légers il pénétra dans une maison sans défense. Elle était silencieuse, obscure, apparemment inhabitée. Coup d’œil aigu dans la pénombre. Meubles rares, volets mi-clos. Au milieu de la table, rien, sauf un pain à la croûte ronde. Et comme il lui venait devant, ce pain soudain lui dit:
- Mon frère, que cherches-tu exactement ?
Le voleur bondit en arrière, tourna partout ses yeux inquiets.
- Qui a parlé ? dit-il.
- C’est moi. Ne voulais-tu pas un miracle ?
- J’espérais, mais tu me surprends.
- Je vois clair dans ton âme triste. Tes voleries accumulées sont des provisions enviées mais assurément immangeables. Tu voudrais découvrir enfin quelque chose que rien n'abîme, savoir ce que sait la musique, aimer comme je sais aimer. L’autre sourit, moqueur, amer.
- Aimes-tu ceux qui te dévorent ?
- Qui n’aime pas ne peut nourrir. Veux-tu mon pouvoir ?
- Certes oui. Ce qui m’enrichit m’intéresse.
- Sache que tu devras passer par le chemin qui fut le mien.
Le voleur s’assit, s’attabla, et dit au pain :
- Raconte-moi.
- Que l'oreille du cœur écoute ! Quoi que je dise, ne crains pas. Je fus d’abord, un jour d’automne, enfoui dans la terre des morts. J’ai pourri. J’ai dormi longtemps. Quelque chose en moi a germé. Je me suis senti renaissant. Alors m’est venu un désir, un élan, un rêve de ciel, une famine de lumière. Mais la nuit où je m’efforçais était si lourde, si glacée ! Tout me disait : « Quelle folie ! Comment un être aussi chétif pourrait-il trouer ces ténèbres ? Ne sont-elles pas infinies? A-t-on la preuve qu’il fait jour, quelque part, dans cet univers?» Cent fois j’ai voulu renoncer. Cent fois la rage m'a repris. Comment ai-je fait? Je ne sais.
Un matin, un brin d’herbe est né. C’était moi, vivant, ébloui, convaincu d’être parvenu au paradis des grains de blé. L’air bleu, le soleil, les oiseaux, la liberté, Quelle merveille ! J’ai pensé : « Dieu me tend la main, il m’a vu, il m’accueille enfin ! » Je me suis encore élevé, je me suis offert aux averses, aux nuées, aux souffles des vents. J’ai connu cette fierté à être qui fait croire à l’éternité. Vinrent les premiers jours d’été, l’armée ferrée des moissonneurs, l’inutilité des prières et l’apocalypse des faux.
Je fus lié, battu, broyé, réduit en poudre sous la meule, noyé, pétri, jeté au four, enfin tiré par mon bourreau hors des braises de cet enfer. C’est ainsi et pas autrement que je me suis fait nourrissant. J’ai ce pouvoir incomparable de donner ma force aux vivants. Le veux-tu, dis, voleur de riens ?
- Non, garde le, répondit I homme. Je préfère cent fois rester avec mes Questions sans réponse et mes effrois d’enfant perdu. Aimer est trop rude. Salut.
LES DEUX RÊVEURS
"Le trésor est à l'intérieur mais... " (ndr)
Dans la ville d'Ispahan, en Perse, vécut autrefois un paysan très misérable. Il n’avait pour tout bien qu’une humble maison basse couleur de terre ensoleillée. Devant cette maison était un champ de cailloux, au bout de ce champ une source et un figuier. C’était là tout son bien.
Cet homme, qui travaillait beaucoup pour peu de récolte, avait coutume, quand le cadran solaire à demi effacé sur sa façade indiquait l’heure de midi, de faire la sieste à l’ombre de son figuier. Or, un jour, comme il s’était endormi, la nuque contre le tronc de son arbre, un beau rêve lui vint. Il se vit cheminant dans une cité populeuse, vaste, magnifique. Le long de la ruelle où il marchait nonchalamment étaient des boutiques foisonnantes de fruits et d’épices, de cuivres et de tissus multicolores. Au loin, dans le ciel bleu, se dressaient des minarets, des dômes, des palais couleur d'or.
Notre homme, contemplant avec ravissement ces richesses, ces beautés, et les visages avenants de la foule alentour, parvint bientôt, dans la lumière et l’aisance de ce songe béni, au bord d’un fleuve que traversait un pont de pierre. Vers ce pont il s’avança et soudain fit halte, émerveillé, au pied de la première borne. Là était, dans un grand coffre ouvert, un prodigieux trésor de pièces d’or et de pierres précieuses. Il entendit alors une voix qui lui dit:
- Tu es ici dans la grande cité du Caire, en Égypte. Ces biens, ami, te sont promis.
A peine ces paroles allumées dans son esprit, il s éveilla sous son figuier, à Ispahan.
Il pensa aussitôt qu’Allah l’aimait et désirait l’enrichir. « En vérité, se dit-il, ce rêve ne peut être que le fruit de son indulgente bonté.» Il boucla donc son baluchon, cacha la clé de sa masure entre deux pierres du mur et s’en alla sur l’heure en terre Égypte, chercher le trésor promis.
Le voyage fut long et périlleux, mais par grâce naturelle le bonhomme avait le pied solide et la santé ferme. Il échappa aux brigands, aux bêtes sauvages, aux pièges de la route. Au bout de trois rudes semaines, il parvint enfin à la grande cité du Caire. Il trouva cette ville exactement comme il l’avait vue dans son rêve : les mêmes ruelles vinrent sous ses pas. Il chemina parmi la même foule nonchalante, le long des mêmes boutiques débordantes de tous les biens du monde. Il se laissa guider par les mêmes minarets, au loin, dans le ciel limpide. Il parvint ainsi au bord du même fleuve que traversait le même pont de pierre. À l’entrée du pont, était la même tome. Il cou rut vers elle, les mains déjà tendues à la fortune, mais presque aussitôt se prit la tête en gémissant. Là n’était qu’un mendiant, qui lui tendit la main en quête d’un croûton de pain. De trésor, pas la moindre trace.
Alors notre coureur de songes, à bout de forces et de ressources, désespéra. «À quoi bon vivre désormais, se dit-il. Plus rien de souhaitable ne peut m’advenir en ce monde.» Le visage baigné de larmes, il enjamba le parapet, décidé à se jeter dans le fleuve. Le mendiant le retint par le bout du pied, le ramena sur le pavé du pont, le prit aux épaules et lui dit : - Pourquoi veux-tu mourir, pauvre fou, par un si beau temps ?
L’autre en sanglotant lui raconta tout : son rêve, son espoir de trouver un trésor, son long voyage. Alors le mendiant se prit à rire à grands éclats, se frappa le front de la paume, et le désignant alentour comme un bouffon faramineux: - Voilà bien le plus parfait idiot de la terre, dit-il. Quelle folie d’avoir entrepris un voyage aussi dangereux sur la foi d’un rêve! Je me croyais d’esprit malingre, mais auprès de toi, bonhomme, je me sens sage comme un saint derviche. Moi qui te parle, toutes les nuits, depuis des années, je rêve que je me trouve dans une ville inconnue. Son nom est, je crois, Ispahan. Dans cette ville est une petite maison basse couleur de terre ensoleillée, à la façade pauvrement ornée d’un cadran solaire à demi effacé. Devant cette maison est un champ de cailloux, au bout de ce champ une source et un figuier, toutes les nuits, dans mon rêve, je creuse un trou profond au pied de ce figuier, et je découvre un coffre empli à ras bord de pièces d'or et de pierres précieuses. Ai-je jamais songé à courir vers ce mirage ?
Non. Je suis, moi, un homme raisonnable. Je suis resté à mendier tranquillement ma pitance sur ce pont fort passant. Songe, mensonge, dit le proverbe. Où Dieu t a mis tu aurais dû demeurer. Va, médite et sois à l’avenir moins naïf, tu vivras mieux.
Le paysan, à la description faite, reconnût sa maison et son figuier. Le visage tout à coup illuminé, il embrassa le mendiant éberlué par cet accès subit d’enthousiasme et retourna à Ispahan, courant et gambadant comme un homme doué de joie inépuisable. Arrivé chez lui, il ne prit même pas le temps d'ouvrir sa porte. Il empoigna une pioche, creusa un grand trou au pied de son figuier, découvrit au fond de ce trou un immense trésor. Alors, se jetant la lace contre terre :
- Allah est grand, dit -il, et je suis son enfant.
Ainsi finit l’histoire.
Mon cœur est désormais réceptif
à toute image,
pré de gazelles, cloître des moines,
temple d’idoles, Ka'aba des pèlerins,
tables de la Torah et feuilles du Coran.
Je professe la croyance en l’amour, où que se dirigent ses caravanes,
car l'amour est ma religion et ma foi.
Ibn Arabi
LA VOIX DES SABLES
"replacer notre expérience d'incarnation présente dans une perspective plus vaste" (ndr)
Il était une fois un vieux fleuve perdu dans les sables du désert. Il était descendu d'une baute montagne qui se confondait maintenant avec le bleu du ciel. Il se souvenait avoir traversé des forêts, des plaines, des villes, vivace, bondissant, puis large, fier et noble. Quel mauvais sort l’avait conduit à s’enliser parmi ces dunes basses où n’était plus aucun chemin ? Où aller désormais, et comment franchir ces espaces brûlés qui semblaient infinis ? Il l’ignorait, et se désespérait.
Or, comme il perdait courage à s’efforcer en vain, lui vint des sables une voix qui lui dit :
- Le vent traverse le désert. Le fleuve peut en faire autant.
Il répondit qu'il ne savait voler, comme faisait le vent.
- Fais donc confiance aux brises, aux grands souffles qui vont, dit encore la voix. Laisse-toi absorber et emporter au loin.
Faire confiance à l’air hasardeux, impalpable ? Il ne pouvait accepter cela. Il répondit qu'il était un terrien, qu'il avait toujours poussé ses cascades, ses vagues, ses courants dans le monde solide, que c’était là sa vie, et qu'il lui était inconcevable de ne plus suivre sa route vers des horizons sans cesse renouvelés. Alors la voix lui dit (ce n’était qu’un murmure) :
- La vie est faite de métamorphoses. Le vent t’emportera au-delà du désert, il te laissera retomber en pluie, et tu redeviendras rivière.
Il eut peur tout à coup. Il cria :
- Mais moi je veux rester le fleuve que je suis !
- Tu ne peux, dit la voix des sables. Et si tu parles ainsi, c’est que tu ignores ta véritable nature. Le fleuve que tu es n’est qu'un corps passager. Sache que ton être impérissable fut déjà maintes fois emporté par le vent, vécut dans les nuages et retrouva la Terre pour à nouveau courir, ruisseler, gambader. Le fleuve resta silencieux. Et comme il se taisait un souvenir lui vint, semblable à un parfum à peine perceptible. «Ce n’est peut-être rien qu’un rêve», pensa-t-il. Son cœur lui dit : « Et si ce rêve était ton seul chemin de vie, désormais ? »
Le fleuve se fit brume à la tombée du jour. Craintif, il accueillit le vent, qui l'emportât. Et soudain familier du ciel où planaient des oiseaux il se laissa mener jusqu’au sommet d’un mont. Loin au-dessous de lui les sables murmuraient :
- Il va pleuvoir là-bas où pousse l'herbe tendre. Un nouveau ruisseau va naître. Nous savons cela. Nous savons tout des mille visages de la vie, nous qui sommes partout semblables.
La voix sans cesse parle. Comme la mémoire du monde, le conte des sables est infini.
Bibliographie : « contes des sages Soufis » Henri GOUGAUD ed. Seuil